La réalité du métier de fermière-fleuriste

La réalité du métier de fermière-fleuriste
Ces derniers mois, j’ai reçu beaucoup de demandes d’informations sur le métier de fermière-fleuriste. Les personnes qui m’écrivent aimeraient démarrer leur propre ferme florale. Certains sont à l’étape du rêve, d’autres ont acheté la terre. Les fleurs ont la cote! En répondant à tous ces courriels, je me suis rendu compte qu’on enjolivait l’emploi.
Avec les livres de Floret Farm et les belles photos sur Instagram, on a surtout présenté le côté sexy. C’est normal, je le fais moi-même en publiant des photos d’abondance de fleurs éclairées par une belle lumière de campagne. On a bien besoin de voir du beau sur les médias sociaux! J’ai aussi moi-même rêvé à ma prochaine vie en lisant plusieurs fois de suite le livre de Floret Farm. C’est vrai que c’est le fun de cultiver des fleurs. C’est incroyable de jouer dans ces merveilles à longueur de journée. Mon atelier sent toujours bon. Je me trouve chanceuse quand j’ai des dizaines de pivoines dans les bras. Et chaque matin, en faisant mon tour de jardin pour observer les fleurs du jour, j’ai envie de me pincer tellement je n’en reviens pas que c’est mon métier.

Cependant, je pense que c’est important aussi d’expliquer à quel point c’est vraiment difficile. C’est beaucoup de travail, d’effort physique intense, de prises de tête et parfois, de pleurs. Il y a vraiment une sacrée différence entre le fait de cultiver des fleurs pour le plaisir et d’en vivre financièrement à temps plein. Être entrepreneure, c’est toujours dur. Mais quand tu te bats en plus contre la météo, ça rajoute une couche de plus.
Je ne veux pas décourager les gens de se lancer dans l’aventure. Au contraire. Je pense qu’il n’y a pas assez de fermes florales au Québec; il en faudrait des dizaines de plus pour arriver enfin à compétitionner un peu les fleurs de l’étranger. Et puis, c’est vrai que c’est magique comme emploi. Par contre, j’aimerais éviter que quelqu’un se lance dans l’aventure en s’imaginant qu’elle va être magnifique tout le long. Je suis loin d’être encore une experte alors que je commence ma 4ème saison de culture, mais voici ce que je peux dire sur le métier.

Ça fait mal partout
Le métier de fermier, c’est très physique. Je ne pense pas que ça soit un secret! Celui de fermier en bio-intensif, sûrement encore plus, car on fait les choses à la main. Il existe des outils pour nous aider, mais ces outils ne remplacent pas notre force. Il fait chaud, le soleil plombe et il faut continuer, car les délais sont très courts. Au printemps, on a une période minuscule entre le dégel de la terre et le moment où il faut tout planter. C’est le sprint continuel pour préparer les espaces de culture : des brouettes de compost, des planches de culture à aérer, des tuteurs à installer… On est couvert de sueur et de terre de la tête au pied. À l’automne, il faut à nouveau se dépêcher de tout finir avant la première neige : des brouettes de compost encore, des centaines de bulbes de tulipes à planter… L’été, c’est un peu moins physique; ce sont surtout des tâches répétitives comme cueillir des centaines de fleurs ou désherber en plein soleil. À tout cela, se rajoutent les mariages; le montage des arches, les boites de centres de table à transporter, les escaliers à monter et descendre pour transporter tout le stock… Ouf, c’est quelque chose pour le corps! J’ai toujours été une personne très sportive, je cours des kilomètres chaque semaine depuis mon adolescence et je faisais de la compétition en tennis. J’ai besoin de bouger. C’est d’ailleurs un des aspects qui me dérangeaient le plus dans mon ancienne vie en marketing : être statique au minimum 7h par jour. Par contre, je peux vous dire que je n’avais jamais imaginé une telle fatigue physique! Mon corps s’est transformé depuis 3 ans; je me suis endurcie. Je fais de la musculation l’hiver et je m’efforce de pratiquer plus de yoga pendant la haute saison. Mais chaque printemps, les premiers jours sont très pénibles et en novembre, je dors non stop pendant plusieurs jours pour me remettre de la saison!
On oublie les vacances en été

Sur cette photo, on remarque les zinnias et les dahlias incroyables de la fin de mois de septembre. Ce qu’on ne voit pas, c’est qu’il est 19h, qu’il tombe une petite pluie froide, que j’ai travaillé toute la journée à fleurir une séance photo de mariages dans une grange et qu’en rentrant, je devais confectionner encore 20 bouquets pour le lendemain. Cette photo, je n’avais vraiment pas envie de la prendre. Je me sentais fatiguée et pas à mon avantage, j’avais faim et mal partout. J’ai pris le temps de poser, car j’avais en main probablement les dernières fleurs de l’année et qu’il fallait annoncer sur les médias sociaux les bouquets à vendre. C’est facile d’enjoliver le métier de fermière-fleuriste sur Instagram, parce que les fleurs sont toujours belles en photo! Mais je peux vous dire que ce jour-là, j’étais tannée.
Quand les fleurs représentent la seule source de notre revenu, et que ce n’est pas juste une passion à côté, c’est un travail non-stop, 7 jours sur 7, de mai à octobre. Travailler à l’extérieur à son prix. Les fleurs ne te laissent pas partir en vacances. Il faut être très flexible dans son temps et ressortir en panique à 21h, car Météo Média annonce soudainement un gel de nuit et il faut étendre une couverture isolante à la lampe torche alors que le vent n’arrête pas de la soulever. De plus, ce sont les fleurs qui décident quand elles sont prêtes à être cueillies et non l’inverse. Par exemple, pendant la saison des pivoines, les boutons peuvent s’ouvrir en quelques heures de soleil trop intenses et si on ne le coupe pas à temps, c’est fini, elles sont invendables, car trop ouvertes.
Du beau stress
Avoir un métier aussi étroitement lié à la météo apporte son lot de complications! Faire mourir une fleur ça arrive à tout le monde, même les plus experts. Quand tu vis de la vente de fleurs sur une petite parcelle, une fleur représente beaucoup plus qu’une jolie chose à regarder : c’est de l’argent pur. De plus, on y met beaucoup du sien en la faisant pousser depuis le mois de mars; ça fait mal quand il arrive quelque chose et il peut arriver tant de choses!

Enfin, gérer une micro ferme florale, c’est comme n’importe quelle entreprise, il faut parvenir à vendre ses produits. Il y a des semaines plus stressantes que d’autres. Les gens s’arrachent les tulipes, mais d’autres fleurs sont plus dures à vendre et des semaines plus tranquilles. Ça me fait souvent penser à mon père qui était restaurateur. Son restaurant était toujours plein à craquer du jeudi au samedi, il devait refuser du monde. Mais le lundi et mardi, le temps s’éternisait à attendre les clients. Quand on cultive des fleurs, il faut apprendre à gérer les pics de ventes suivis de temps plus calmes. Ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre cette angoisse.

Quand la magie opère
Maintenant que j’ai fait ma rabat-joie, je peux quand même vous dire que je n’ai jamais regretté une seule fois de m’être lancée dans cette aventure. Chaque jour est unique et apporte son lot de défis, mais aussi de joies. C’est ce que j’aime dans ce métier; on ne peut jamais s’ennuyer. Alors, j’ai vraiment hâte à la saison 2021!